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Invitation au voyage

Encore un peu de Chili con carnet ?

9 Mars 2010 , Rédigé par Bertrand Publié dans #Terremoto 2010

[trois jours sans Internet coupé... ca fait réfléchir et prendre des notes...
Bonne lecture]

Lundi 8 mars 2010, 18H23

Le vent s’est levé cet après-midi. Un vent venu d’ailleurs, d’une autre saison, de celle des cerfs-volants au printemps, mais nous sommes en mars, le printemps arrivera prochainement dans l’hémisphère nord, pas ici, pas au Chili encore moins à Valparaiso.

Un vent furieux, bruyant et porteur d’une peur supplémentaire. On n’a pas besoin de ce vent ces jours-ci, ces jours sombres, ces jours de deuil de reconstruction après les terribles tremblements de terres et tsunami qui ont devasté tout le centre du pays il y a dix jours.

Un vent venu pour nettoyer les amoncellements de poussières et de débris amassés un peu partout lors des premières opérations de nettoyage. Un vent venu faire tomber ce que la Terre n’a pas réussi à faire choir, ces corniches fendues, ces volets fendus, ces toits de tole dont les clous rouillés manquent à l’appel.

Et des éléments ne manquerait que le feu, déguisé en incendie, l’eau ayant fait son oeuvre en vagues ravageuses et meurtrières successives, en échos morbides aux secousses sismiques. Mais les incendies sont la véritable hantise des habitants de Valparaiso qui se demandent encore pourquoi leur père, leur grand-père -ou n’importe quel de leurs  aïeux- n’a pas embarqué lorsqu’il était encore temps, lorsqu’il aurait pu aller voir ailleurs si le monde lui serait moins hostile. Ce sont les incendies consécutifs aux secousses qui détruisirent les édifices effondrés et tuèrent sans pitié lors du tremblement de terre de 1906, celui qui détruisit la moitié de la ville et qui poussa ses habitants à aller construite plus loin, à Viña del Mar par exemple, comme pour conjurer le sort et faire la nique au destin. Les plus riches des survivants, souvent allemands, anglais et francais choisissant de partir vers d’autres latitudes plus familières. D’autres, ruinés se retrouvèrent coincés dans un port qui allait perdre son intéret 11 ans plus tard avec l’ouverture du canal de Panama. La crise mondiale de 1929 donnant le coup de grâce à une ville qui avait alors les deux genoux à terre.

On voulut oublier le port, ce port mythique devenu maudit, tandis que sa voisine Viña del Mar comencait de briller de mille feux, par son industrie fllorissante, son travail portuaire et le développement de la mode des stations balnéaires, avec ses grandes plages de sable blanc. Quand Pancho, le port de Valparaiso, devenait mal famé, dangereux, de plus en plus pauvre.

Il faut voir « Valparaiso mi amor » du cinéaste chilien Aldo Francia pour voir ce Valparaiso brillant de survivance et d’humilité.

Il faut voir ce splendide film dans un noir et blanc magnifique qu’aucune technique digitale actuelle ne saura reproduire et venir mettre la couleur soi-même en se rendant ici, à Valparaiso.

Il faut venir voir comme les maisons ondulent sous le vent féroce, mais résistent tels des roseaux. Il faut sentir la marée iodée qui se mêle à la cendre de l’ultime incendie, là-haut sur la colline.

Il faut voir comment la pauvreté sourit sous les larmes après le tremblement de terre.

Quelle maison n’a pas ses fissures en trâce de baptême aux colères terrestres. Quel Porteño n’a pas son anecdote sur la dernière secousse, le dernier incendie ou la dernière tempête, de celles qui transforment les rues en pentes en véritables torrents et les maisons en couleurs en bateaux sous l’orage.

« Qu’est-ce qu’on fout là ? », disait moitié ironique un ami artiste francais insallé depuis plus longtemps encore ici que moi.

Survivre en milieu hostile est-il la règle pour demeurer à Valparaiso ?

Les puces dans le bois des vieilles bâtissent rongées par les termites, quand ce ne sont pas celles que transportent les centaines de chiens errants qui aboient, salissent les rues et parfois mordent une vielles ou un touriste sommé d’aller se faire vaciner contre la rage, même si officiellement cela fait plus de vingt ans qu’il n’y a pas eu un seul cas.

Les voleurs déscendus des quartiers pauvres et venus voler là où se trouve le « facile à revendre », dans les sacs des touristes, dans les boutiques à la mode ou dans les voitures garées dans les lieux de sorties nocturnes.

Les drogués en manque qui copient en plus violent les voleurs, le coup de couteau plus facile tant le manque est fort et la lutte vaine.

Tout cela sous l’oeil officiellement attentif de caméras de vigilances aussi inutiles que coûteuses, dont les images finalement servent en premier lieu à affoler un peu plus les populations afin de leur vendre un discours politique sécuritaire, des alarmes et des vigiles.

Alors que faire si en plus, je n’ai plus ni téléphone ni Internet comme réplique des secousses, si la moitié des programmes de la télé ne passent plus parce qu’apparemment les antennes sont endommagées, que l’eau va être coupée trois jours afin de réparer les dommages du tremblement de terre, si le vent se met à être toujours plus fort, que les répliques se succèdent à un rythme qui favorise les angoisses, les mauvais souvenirs, les conversions et les réflexions les plus stupides ?

 

-         Et c’est dans ce décors que tu fais venir ta mère ?

-         Oui, répond-il, tout penaud.

-         Tu crois que c’est le bon moment pour venir à Valparaiso ?

-         Je sais pas. C’est quoi le bon moment pour venir voir son fils qui vit à 12 000 kilomètres ?

-         Mais le danger ?

-         Le danger n’est rien contre l’amour maternel non ?

-         C’est pas égoïste ca ?

-         L’amour n’est pas la sublimation de l’égoïsme le plus pur et le plus innocent ?

-         Oui, mais quand même, elle aurait pu attendre que tout cela se calme un peu non ?

-         Tu veux dire les répliques ? les coupures d’eau ? le vent qui souffle ? La pauvreté qui aiguise les sentiments de frustrations pour les transformer en violence ? C’est aussi ca l’Amérique, cette part d’insécurité permanente qui construit les corps et les esprits autrement que dans notre vieille Europe repue et tranquille. Je mesure la sécurité de vivre en Europe seulement depuis que je suis ici, à Valparaiso, j’ai appris à ne pas trembler quand ca tremble, j’ai appris à écouter le vent faire bouger les maisons, j’ai appris à couper le chauffe-eau pour prévenir les incendies, j’ai appris à rester chez moi quand les torrents envahissent les rues, j’ai appris à revoir ma vision de ce qui est important dans nos vies. J’ai apprìs à reconnaître sous l’humilité de ceux qui m’entourent la nécessité des uns et la survivance des autres. J’ai appris à accepter sans pleurer que le destin vienne poser sa main sur mon épaule quand la terre tremble, quand la mer se déchaine, quand le vent se fait furieux et lève les incendies. J’ai appris à oublier notre atavisme francais de donneurs de lecons pour écouter d’autres points de vues plus réalistes, plus pragmatiques, plus utiles.

-         Ca va, ca va, j’ai compris, te vexe pas.

-         Je ne me vexe pas, tu sais, l’ami, je te dis juste ce que je ne découvre que depuis peu, depuis que passent en boucle sur les télévisions chiliennes les images crues du désastres qui a eu lieu tuant près de 500 personnes mais détruisant ce que des générations entières ont construit aux prix de sacrifices incalculables, de litres de sang, de sueur, en heures de travail, de sommeil, de torture. Ces pêcheurs sans bateau, ces commercants sans boutiques, ces familles sans maison, ces professeurs sans écoles, ces voitures sans route, ces routes sans pont, ces ports sans quai, ces trains sans rails... Ce n’est pas tant la secousse terriblement longue qui m’a ouvert les yeux sinon ses conséquences. Les répliques, pourtant moins fortes sont autant de piqûres de rappel comme pour que le souvenir s’imprime plus profondément pour durer le plus longtemps possible quand la nature humaine a besoin d’oublier pour survivre. La peur est une mort lente de l’âme. Pleurer permet d’accepter la peur, mais se relever pour vivre et reconstruire c’est aussi commencer d’oublier pour aller de l’avant. Et les répliques servent à ne pas reconstruire avec les même erreurs, comme cette petite voix qui te dit « qu’est ce qui est important pour toi désormais ? » Nous ne sommes pas tous des Mères Teresa ou des Nelson Mandela mais chacun à sa manière doit pouvoir assumer sa sensibilité comme il l’entend.

-         Tu t’égares là non ?

-         Non, je rêve tout haut. Ce que je te raconte est encore tout neuf dans mon esprit. Je te livre tout cela brutalement parce que je ne vais pas le pôlir, c’est inutile. J’apprends à ne plus peaufiner ce qui peut tomber en poussière demain pour garder mes forces et mon talent pour autre chose sans doute plus important. J’apprends à sentir plutôt que d’analyser, j’observe sans regard critique, j’écoute sans dictionnaire. En clair, je relativise sans doute beaucoup plus qu’auparavant.

-         Ce qui signifie que tu t’en fous ?

-         Non, que je tente de reprendre une place et une attitude plus distante avec le danger, la mort, la frustration perverse de la vie sociale et mercantile actuelle. Si l’homme est un loup pour l’homme c’est aussi parce qu’il vit en milieu hostile. Je n’adhère pas aux thèses de la ruche parce que l’Homme est doté d’une raison qui lui empêche l’abnégation totale.

-         T’as le bourdon c’est ca ?... hum.. pardon..j’voulais pas.

-         Non, c’est bien, il ne faut pas non plus se prendre trop au sérieux. Mais il ne faut pas non plus se tromper de coupable.

-         Ha bon parce qu’il y a une coupable d’une catastrope naturelle ?

-         Oui. Comme je le diasis après la catstrophe qui ragavea Haïti, ce n’est pas tant la catastrophe qui tue que la pauvreté. Et au Chili, c’est flagrant, il suffit de regarder les images. Cew sont les humbles, lesa pauvres, ceux qui n’avaient presque rien qui ont le plus perdus, et e sont les mêmes qui attendent les secours, les aides et l’assistance. La pauvreté tue parce qu’elle rend les habitions fragiles, parce qu’elle oblige à s’installer n’importe où, parce qu’elle prive d’éducation, d’information, d’alimentation, de santé, de prévention et d’anticipation. Les éboulements, les accidents, les infections, les microbes, les mauvais réflexes, le manque de copr´hension des messages d’informations sont autant de facteurs agravants de quelques catastrophes. Lutter contre la pauvreté, c’est protéger les gens.


NB : vous pouvez retrouver tous les articles de ce blog sur le thème du terrible tremblement de terre du 27 février 2010 dans la nouvelle catégorie "Terremoto 2010" créée pour l'occasion :  

http://bertrand-bertrand.over-blog.com/categorie-11397731.html

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M
<br /> juste envie de dire que c'est beau et que ça pose un sourire sur mes lèvres<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> @Mag<br /> ;-)<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> merci...<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> @Cécile<br /> De rien...<br /> <br /> <br /> <br />
N
<br /> Hola Beltrand<br /> <br /> Je m'enflamme vite, c'est vrai, mais là quand même j'aime les idées, la réalité, le rêve, le cauchemar, l'humour...; j'adhère (pour une nomade c'est le comble).<br /> Je cherchais des infos sur l'incendie de Valparaiso, paraît que ça brûle par là, on vient de me dire ça à Pucon alors que j'ai mon billet pour Santiago ce soir. Non mais que reste-t-il pour<br /> m'empêcher de remonter le sud de l'Amérique par le Chili ?!<br /> Je reviendrai sur ce blog. Ca existe de bon blog. Merci et bonne vie à Valparaiso !<br /> Mireille<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> @nomadeMerci Mireille la nomade...<br /> Pardon de répondre en retard.. Mais je réponds toujours, en vieux motard que j'aimais...<br /> Valparaiso vit, tremble, brûle, sent le café crâmé, le vent iodé, le sang qui sêche sur les trottoirs mal fréquentés...<br /> Valparaiso vit dans les yeux de ceux qui la reegarde avec amour et patience.<br /> Ne pas la regarder, c'est l'ignorer:<br /> Ne pas venir la voir, c'est oublier l'essence même du Chili qui compte.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Merci Bel...tran, tant c'est fort, vrai , plein d'humour et de philosophie aussi, continue à être là et le dire à ta façon inimitable.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> @Stephany Michèle<br /> Merci.... Merci... ca me fait rougir tant de compliments....<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Merci Bertrand.<br /> Je suis très touché par ton texte. Il nous dit beaucoup sur la situation pratique, concrète au jour le jour. Mais, il en dit beaucoup plus ...  <br /> <br /> Je partage le plus possible ton blog autour de moi, soit pas mail, twitter et Facebook. Il ne faut pas se priver des outils existants pour informer "autrement".<br /> <br />  Kenavo, vieux brigand.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> @Merci Pierre<br /> <br /> <br /> <br />