On ne rit plus !
Si je n'avais pas ce compte à rebours de vingt-six jours à l'issue duquel je quitte la France, je fermerais ma gueule, mais voilà, je suis encore là, à Paris, Parisien comme deux millions d'autres, enfin, presque. Et j'ai honte !
J'ai honte, si je croise un Africain, j'ai honte, si je croise un sans-papiers, j'ai honte, si je croise un membre du DAL, j'ai honte. Même en sous-location dans le studio d'une copine (merci Fabienne), j'ai honte. Et si je me permets de donner mon avis c'est parce que pendant trois ans j'ai travaillé dans le secteur social, dans celui de la santé des populations en situation de précarité et notamment auprès des populations d'origine étrangère.
Les images d'expulsion de population avec des enfants, qui plus est le jour de la rentrée scolaire, sont à vomir, on ne reconnaît pas la France, ou alors celle qui montra il y a de nombreuses années comment on a pu ouvrir à coup de hache l'église Saint Bernard où s'étaient réfugiés des sans-papiers inexpulsables au regard de la loi, tout comme ceux que l'on a mis dehors ce matin.
J'ai honte parce que sur ces images, on voit des élus se faire bousculer par des représentants des forces de l'ordre, parce qu'on voit des images d'un autre siècle de portes enfoncées, de gens emportés contre leur gré, d'enfants témoins de scènes violentes qui vont les marquer à jamais.
J'ai honte parce qu'en tant que Parisien, Francilien et travailleur du secteur social, je connais très bien la situation du logement en Ile-de-France, du logement social en particulier, mais aussi du privé. J'ai honte parce qu'une fois de plus, on s'attaque à un problème beaucoup trop tard et on s'y attaque mal, en faisant trinquer d'abord les pauvres, les exclus -comme en luttant contre la prostitution on s'attaqua aux malheureuses prostituées (et si vous cherchez bien, vous remarquerez que le ministre responsable était déjà le même)-, comme demain, en voulant résoudre le problème de surpopulation et de surcoût hospitalier on fera trinquer les malades... J'exagère ? Hélas non, du côté d'un hôpital du Val d'Oise que je ne nommerai pas, faute de places et sous la pression financière, on fait sortir des gens à peine opérés, dépendants, qui ne savent pas comment ils vont vivre chez eux, quand ils ont un chez eux...
J'ai honte parce que tandis que le nombre de mal-logés augmente, le prix du mètre carré dans la capitale continue de grimper, ce qui ne fera qu'accentuer le phénomène d'exclusion du logement de plus en plus de personnes. Car, n'allez pas croire que ce n'est un problème que pour les pauvres noirs sans papiers... Non non non, ces squats que l'on vous montre à la télé, ce n'est que l'arbre qui cache la forêt. Les mal-logés sont des millions en France, mais personne n'en parle, parce que pourvu que l'on ait un toit au dessus de la tête, avec l'électricité si possible et ça roule... Mais savez vous combien de personnes vivent dans des taudis, dans des squats, dans des garages, des caves, des greniers ? Savez vous dans quelles conditions honteuses vivent des milliers de vieux émigrants logés dans les foyers Sonacotra (entreprise privée sous la tutelle de pas moins de cinq ministères) ? Et combien de personnes logent chez des amis et d'autres chez leurs parents, incapables de payer un logement ? Et que penser des 100 000 personnes qui attendent un logement social sur l'Ile-de-France ? Et savez-vous aussi combien de millions d'euros on dépense chaque mois en France pour loger les gens dans des hôtels faute de place dans les HLM et le logement social ?
Et avec le prix du logement qui a explosé en France, les données sociales sont bouleversées, la part du budget des ménages consacrée au logement devient tellement importante, que certains aspects de consommations disparaissent, comme les vacances par exemple, les livres, le cinéma, etc.
La politique du logement en France est catastrophique depuis des lustres. On a construit des cités que l'on a laissées crever la gueule ouverte et qui cristallisent aujourd'hui la plupart des maux de notre société : chômage, violence, délinquance, logement insalubre, insécurité sociale, etc. On fait des lois qui ne sont pas respectées, comme celles qui donnent obligation aux communes de mettre des terrains à disposition des "gens du voyage", ou celle qui donnent obligation d'un pourcentage de logement social dans chaque ville... Combien sont-elles, les communes, à ne pas respecter ces lois, ou à préférer payer les amendes plutôt que de le faire ?
Alors, gueuler ça fait du bien, mais après ? Et bien, j'ai honte parce que ces situations, tout le monde les voit, tout le monde le sait et personne ne fait rien, à commencer par les propriétaires qui louent des taudis, ces marchands de sommeil comme on dit, puis les politiques qui tous, à un moment ou un autre ont été élus locaux et connaissent les problèmes de logement qui existent partout en France, et puis les fonctionnaires liés au logement, les travailleurs sociaux qui doivent trouver des toits pour tous... Et puis, tous ceux qui ne résistent pas à faire une jolie plus value en revendant leurs biens hors de prix, tandis que les gouvernements de droite successifs allégent les impôts pour que les riches soient encore plus riches tandis que les pauvres ne paient pas d'impôts, alors...
Cette crise du logement a des répercussions sur l'emploi à Paris où nombreuses sont les boutiques qui ne trouvent personnes pour venir travailler chez elles puisque les salaires ne permettent plus de se loger dans la capitale, les gens refusent de faire une heure et demi de transport à l'aller et autant au retour pour une paie de misère qui va être avalée dans les frais de garde des enfants... Résultat, on reste au chômage...
Vider les squats n'aident en rien à améliorer la situation du logement en France, au contraire, commençons d'abord par donner un toit à tout le monde et puis, contrairement aux 30 ans qui viennent de passer, ne nous contentons pas de ce toit, mais obligeons les propriétaires à louer des logements décents, et faisons une loi pour faire baisser les loyers et si les propriétaires râlent de ne pas pouvoir couvrir leur frais, ils n'ont qu'à vendre leurs biens, car pourquoi louer ? Pour faire de l'argent avec son patrimoine sur le dos de ceux qui n'en ont pas et n'ont pas les moyens d'acheter un toit ? Mais au rythme ou cela va actuellement, les propriétaires vont être de moins en moins nombreux, ou alors, endettés sur 30 ou 35 ans, comme certains jeunes aujourd'hui... C'est ça que l'on veut pour les générations futures, des couples endettés jusqu'à la retraite, juste pour un toit ?
Vider les squats maintenant, c’est triste, dérisoire, honteux, révoltant, antisocial, intolérant… Ca souille la mémoire des victimes des trois incendies parisiens… Ca montre la faiblesse d’un gouvernement et d’un ministre qui n’a que la répression comme méthode et jamais la prévention… Comme ces enfants dans les cours de récréation qui n'ont que la violence à offrir en réponse à un problème... Et l'amour dans tout ca ?