Des livres et nous !
Voir, au Chili, la vingt-quatrième foire du livre de Viña del Mar rassure. Quand on a vécu dix ans à Paris et que presque chaque année, on a usé ses semelles dans les différents salons du Livre, bien sûr on peut être déçu lorsque l’on arpente les allées d’autres salons du livre, que ce soit à Bordeaux ou au Chili. Mais, dix jours après l’élections d’une femme de gauche à la tête du pays, et tandis que le début des procès de Pinochet et de sa famille est proche, et lorsque l’on connaît mieux la situation du livre au Chili, il faut reconnaître que ce salon de Viña del Mar, en pleines vacances dans la première station balnéaire du pays, est plutôt une réussite et montre que le Chili est sur la bonne voie.
Second salon du livre par son importance après celui, bien sûr, de Santiago, ce salon a le mérite de présenter un panorama complet du monde du livre d’un pays latino de seulement quinze millions d’habitants, dont la population a un pouvoir d’achat limité et dont l’initiative culturelle et intellectuelle est encore bridée dix ans après par l’écho de vingt-trois ans de dictature. Editeurs nationaux mêlés aux groupes internationaux, libraires courageux et d’autres plus mercantiles, édition jeunesse, BD, religieuses et spirituelles, politique, universitaire, poétique, stand de cercles ou de sociétés d’écrivains, avec également des conférences, des spectacles pour enfant et le tout pour une entrée gratuite ! Ma palme personnelle pour un éditeur : les éditons Cuarto Propio.
Le livre reste cher pour un chilien, les prix sont quasiment les mêmes qu’en Europe, mais les salaires des Chiliens eux, ne le sont pas.
Pourtant, une intéressante discussion avec le patron d’une toute nouvelle librairie à Valparaiso montre que des gens y croient encore, à ce foutu bon vieux livre, à l’heure de l’Internet, de la télévision et de la consommation effrénée du « tout tout de suite ».
Et Valparaiso, capitale culturelle du Chili, ne manque pas de librairies, elle manque davantage d’une population de classe moyenne instruite au pouvoir d’achat plus important, cette fameuse classe moyenne qui fait tant défaut dans tous les pays d’Amérique latine.
A ce titre, la lecture de l’excellent «Les veines ouvertes de l’Amérique latine » de Eduardo Galeano est la meilleure façon d’appréhender les caractéristiques culturelles et historiques du continent et d’en comprendre les fondements. Le continent a toujours manqué de livres et d’instruction (réservés aux élites toutes puissantes), faute d’argent, mais aussi à cause de la crainte des grands propriétaires ou des colonialistes qu’une trop grande instruction soit la cause de révolutions, de velléités d’indépendance ou d’alternative idéologique. Sans compter que l’idéologie communiste a provoqué, ensuite, l’effet inverse en proposant non pas une ouverture d’esprit ou un esprit critique mais une pensée unique (et totalitaire dans certains pays). Les populations latines d’Amérique ont des générations de lecture a rattraper, aidons-les !
La France est un enfant gâté du livre, fille aînée de l’Eglise et de l’édition, quand le Chili est seulement plein de cuivre et d’espoir. On peut espérer que le développement économique favorisera la lecture, l’achat de livres à l’instar des autres activités culturelles.
Ce petit pays a quand même le mérite de compter deux prix Nobel de littérature (Gabriela Mistral et Pablo Neruda) et des écrivains contemporrains talentueux.
Mais bien sûr, vu depuis une librairie de Valparaiso, la France demeure un beau pays où le livre continue de s’épanouir. Mais jusqu’à quand ?